La peur alliée ou ennemie dans nos pratiques ?

La peur est intimement liée au combat et donc aux arts martiaux. On peut même dire qu’elle est à l’origine même du fait de vouloir combattre. En effet, la peur de quelque chose pousse à trouver une solution à ce problème pour que cette peur cesse. Le fameux « fight, freeze or flight » bien connu des aficionados de la protection personnelle montre que chacun a une réaction à la peur qui est pré-programmée. Dans nos disciplines, l’idée première est de faire en sorte que l’on soit toujours en état de combattre. Par conséquent, un postulat communément retrouvé dans l’apprentissage est de faire en sorte que la peur ne nous atteigne plus. La question que je souhaite poser dans ce billet est de savoir si éliminer la peur, la considérant comme une ennemie est nécessairement la seule stratégie.

 

Une bref définition de la peur

 

La peur est une émotion répondant au danger, réel ou interprété. Elle déclenche ensuite une série de modifications physiologiques servant à préparer le corps à répondre à la situation en question . Cette peur est fondamentale d’un point de vue évolutif puisqu’elle permet d’éviter un danger pouvant être mortel. Elle permet donc de maintenir l’espèce en vie. En particulier, chez l’animal, la peur du prédateur déclenche ses capacités de fuite directement liées à ses possibilités de survie.

Chez l’Homme, de part la complexité de son environnement et de ses interactions, la peur bien qu’elle serve toujours à la même chose, peut-être déclenchée en fonction d’une interprétation d’une situation. Par exemple parler en public ne présente pas de danger vital, néanmoins, cela peut être vécu comme un danger pour son ego. Cette mise en danger sociale suffit donc à la déclencher. C’est précisément cette multitude de situations qui fait que la façon dont on va décider de gérer la peur dans nos pratiques ne sera pas anodine. Généralement, celle-ci est connotée comme une faiblesse et le courage une force. Pourtant, on peut la considérer comme un signal. C’est cette manière de voir les choses qui orientera la manière dont on va la gérer.

 

Trois grandes stratégies pour gérer la peur

 

De ce que j’ai pu voir dans les arts martiaux ou combatives ou méthodes de conditionnement diverses, trois méthodes différentes ressortent. Le remplacement, la négation et l’acceptation.

Par remplacement, j’entends le fait de conditionner à remplacer la peur par une autre émotion. Dans notre cas, c’est généralement par l’agressivité. L’idée est de rendre les gens de plus en plus agressifs, par leur posture, par la manière de bouger et par les stratégies de penser. Ainsi, la moindre stimulation qui devrait déclencher de la peur, déclenche à la place une grande agressivité. La peur (l’objet de la peur) devient détestée et cette haine alimente le conditionnement agressif. Dans ce cas, les effets physiologiques de la peur sont remplacés par ceux de l’agressivité.

La seconde stratégie est une forme de négation de la peur. En faisant un travail presque méditatif, on fait en sorte de la laisser couler sur soi, on reste indifférent face au danger et les effets de la peur ne se font pas sentir.

La troisième est l’acceptation. Dans ce cas, on va totalement accepter son existence et son déclenchement. Cependant, en se familiarisant le plus possible avec cette sensation et ses effets, on devient capable de faire avec, voir d’exploiter ce que la peur déclenche. Chacune de ces approches présente de mon point de vue des avantages et des inconvénients.

 

Stratégie N°=1:  La Remplacer 

 

 La première est pour moi la plus rapide pour être opérationnelle en cas d’agression. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que l’on retrouve cette façon de voir les choses dans la plupart des disciplines de protection personnelle. L’avantage est que le doute est moindre, l’adrénaline rend plus fort, désinhibe et fait que l’on ressent moins la douleur. L’agresseur sera détruit sans se poser de questions dans l’action.

Néanmoins, le problème majeur que l’on peut voir ici, c’est que remplacer la peur par l’agressivité, autant ça peut être une bonne idée lors d’une attaque, autant dans la plupart des situations sociales et professionnelles, c’est simplement inadapté. De nombreux retours à la vie civile de soldats le démontrent. De plus, une mauvaise lecture de la situation peut déclencher la peur. Si on rajoute l’agressivité là-dessus, on altère encore plus l’analyse de la situation. Mon opinion sur ces approches est qu’elles devraient être réservées à des professionnels qui ne sont exposés à la peur que ponctuellement et qui ont un suivi psychologique. Pas vraiment des civils qui s’entrainent à cause d’une peur ancrée, symptôme d’un problème plus profond, qui sera remplacée par une agressivité exacerbée.

 

Stratégie N°=2:  L’Eliminer 

 

La deuxième approche est à mon avis redoutable en théorie. En n’étant pas entraîné par la peur, la lecture de la situation est rationnelle et la décision prise pour répondre sera la plus pertinente que l’on soit capable de donner. On ne bénéficiera pas des changements physiologiques qui lui sont dues puisqu’elle ne se montrera pas au final. Par contre, cette capacité sera ultra adaptée pour la vie de tous les jours et donnera un net avantage à celui capable de le faire.

Néanmoins, deux écueils me semblent dangereux. Refouler l’émotion ou se faire déborder. Par refouler l’émotion j’entends un refus d’écoute de la peur pour sembler impassible de l’extérieur mais de subir l’agression physiologique quand même. Il en résulte un enregistrement du stress dans le corps qui aura des conséquences plus tard. En particulier, cette peur mal gérée est responsable de certains stress post-traumatiques comme le montre la TRE.

Le second, le débordement est lié à un problème de niveau. Il faut réellement une énorme maîtrise ne jamais se laisser dépasser et garder ce calme olympien. Un autre écueil, proche du débordement, l’habituation. Par exemple, sortir d’une attaque au bokken avec la pratique devient de moins en moins effrayant, on a l’impression de maîtriser sa peur alors qu’on ne maîtrise en fait qu’une situation donnée. La peur reviendra donc dès qu’une situation inconnue se présentera et sa gestion sera toujours aussi problématique.

 

Stratégie N°=3:  Vivre avec 

 

La troisième approche est de pleinement accepter la peur et apprendre à travailler en sa présence. Plutôt étrange à première mais c’est une stratégie totalement valable et très adaptable du coup. Je discutais de cela avec Konstantin Komarov qui s’intéresse beaucoup à ces sujets (son sujet de thèse de doctorat portait là dessus). Je lui expliquais sur un exercice de frappe que dès que le poing entrait dans ma zone, je ressentais de la peur. Rien qui ne me bloque mais la sensation était là. Je lui ai demandé s’il fallait que je travaille à l’éliminer. Il m’a répondu surtout pas. Que lui aussi avait peur lorsque le poing arrivait mais qu’il fallait maintenir ce signal et l’utiliser.

En s’entrainant en permanence avec la présence de la peur, on apprend non seulement à reconnaître ses signes et donc à être moins gêner mais en plus, on peut utiliser l’énergie qu’elle amène pour être plus performant. Pour travailler cela, il faut que chaque exercice provoque une peur. En effet, dès qu’un exercice ne fait plus peur, c’est parce que le processus d’habituation est à l’œuvre. Il est donc dangereux de rester sur cet exercice en pensant qu’on contrôle la peur. Immédiatement, il faudra passer à plus effrayant… Très désagréable, cette approche permet de se familiariser avec la peur. On pourra la vivre avec peu d’effets négatifs quelle que soit la situation. En combat bien sûr, mais surtout dans la vie de tous les jours.

Conclusion

 

Pour conclure, mon choix se porte sur la troisième solution qui pour moi possède le meilleur rapport bénéfices/ risques et surtout de regarder la peur en face. En effet, mon approche des arts martiaux est d’avoir le meilleur effet possible dans toutes les situations. En particulier les situations sociales. C’est bien de pas avoir de crainte d’une attaque avec un couteau en bois. Par contre, ça présente peu d’intérêt si on subit tous ses effets négatifs quand on doit aller parler à une inconnue…

Paradoxalement, un entraînement dont la raison est de survivre à une agression est le signe d’une peur non travaillée. A moins que ce ne soit professionnel, le risque de vous faire agresser est vraiment très bas… Par conséquent, si vous pratiquez depuis 10 pour survivre à une agression, s’intéresser à la cause de cette crainte sera plus rentable en temps et énergie passés.

 

Et vous, comment gérer vous vos peurs? Êtes vous conscient de sa présence? N’hésitez pas à répondre en commentaires et à partager cet article s’il vous a plu!

 

A bientôt

 

Yvan

4 commentaires

  • Djalal-Pierre ROTHAN

    Bonjour
    Très bon article.

    Concernant la solution n° 1 (transformer sa peur en agressivité), certains professionnels font remarquer quelque chose de finalement logique :
    L’agresseur social ou le prédateur, sont généralement bien plus agresssifs de part leur contexte de vie que le citoyen entrainné.
    Il faudra bien plus de mouvements / temps préparatoires au défenseur pour que son agressivité se transforme en geste permettant l’auto défense, et le risque d’aboutir au final à une situation de “combat” plus que de “défense” est réel.

    Ce procedé est bien décrit dans le livre “face à la violence” de Rory MiIler, ou le vaste site internet “no non-sense selfdefense” d’animal Mac Young.

    Je te rejoins donc sur la solution n°3, en lui rajoutant ma touche personnelle : “être en vie” (ie. pragmatiquement, prendre conscience de ses fonctions vitales dans l’entrainement), permet de bien mieux percevoir la peur comme un outil ( et accessoirement un conflit comme une source d’enrichissement ), à condition ; et c’est le plus dur, de mettre son égo de coté !.

    C’est dur mais au final c’est une pratique qui apporte bcp de bonheur au quotidien.

    • Taxam

      Merci pour ce message!

      Oui la solution 3 me semble aussi la plus équilibrante et comme tu le dis, cela profite à la vie quotidienne. Après tout, chercher à rentabiliser notre temps d’entraînement pour améliorer cette vie quotidienne est peut être un meilleur calcul que de préparer durant tout ce temps une agression qui ne viendra pas si souvent que ça… Ou le bon usage de la loi de Parretto 😉

      • Cabiponv

        Accepter. En effet, cela revient à être en paix avec la peur. Autrement-dit, à ne pas être effrayé par sa peur.

        Partant de là, ça peut être intéressant de voir ce qui cause réellement la peur.

        Apparemment, c’est l’autre. En réalité, c’est plutôt ce que je pense de l’autre. Du coup, pour ma part, je tente de mettre mon attention sur ce que j’ai à faire, soit répondre à l’attaque de l’autre, afin d’éviter d’être trop envahi par ce que je pense de lui.

        Du coup la peur me paralyse moins. Mais elle est là . Et je sens qu’elle freine ma capacité d’action.

        Bref, ma façon de faire n’est pas encore totalement opérationnelle.

        Mon acceptation devrait peut-être aller jusqu’à accepter de mal faire, puisque la peur diminue mon potentiel. Et accepter la « volée de bois vert » que je vais recevoir du pratiquant avec qui je m’entraîne. En général, plus expérimentés que moi, fier de son savoir et prompt à faire des remontrances dés que je suis trop brouillon à son goût, et grosse personnalité ! Et, bien sûr, vu que j’ai la pression avant de commencer à travailler avec lui, je suis brouillon…. Alors que je ne me pose même pas la question avec d’autres pratiquants où je n’ai pas cette peur/pression.

        Je me rend compte là qu’avec ce type de partenaire, plutôt que d’avoir à cœur de bien faire, je devrais accepter d’avance d’agir comme je vais agir, qu’elle que soit les conséquences, notamment les reproches. Je vais tenter cela 😉

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