
La différence entre un art martial et un sport de combat
Il y a quelques temps, j’ai eu l’opportunité d’inviter Vladimir Zaykovskiy, instructeur de systema, formé intégralement par Ryabko en moins de 10 ans. Il est peu connu en Europe mais à mes yeux, il est l’un des maîtres d’arts martiaux qui m’ont le plus impressionné par sa qualité de travail. Nous avons beaucoup discuté et au cours de ces discussions, il m’a donné la différence fondamentale pour lui entre un art martial et un sport de combat. Bien que simple, cette formulation m’a semblé très intéressante. Cette différence dont nous allons parler ici entraîne de nombreuses conséquences qui fait qu’au final, ce ne sont que de lointain parents lorsqu’on regarde plus loin que la forme.
Quelle est la différence entre un art martial et un sport de combat?
Quelle est la différence entre sport de combat et art martial? Je vais simplement le citer ici: un sport de combat est auto-suffisant alors qu’un art martial doit avoir un but externe.
Que veut dire auto-suffisant? Dans le sport de combat, le but est de gagner contre quelqu’un qui fait la même chose et qui veut aussi gagner. On s’entraîne, on va combattre, soit on gagne, soit on perd, mais dans les deux cas, on va recommencer à s’entraîner pour gagner la prochaine fois. Il n’y a pas d’autre sens à cet entraînement que de gagner (même de gagner à l’entrainement). Attention, cela ne veut pas dire que l’entrainement n’apporte rien, mais tout les bénéfices ne sont que secondaires par rapport au fait de gagner du point de vue du sport. C’est en cela que le sport de combat est auto-suffisant, l’effort fourni pour améliorer ses performances en combat trouve sa résultante dans la victoire.

Que signifie but externe? Cela dépend et c’est cela qui va définir l’art martial. L’art martial est un outil qui est là pour aider à mettre en application efficacement une décision. L’application en question n’est pas nécessairement le combat d’ailleurs. L’art martial doit donc intégrer des principes forts qui transcendent le combat pour s’appliquer à tout. Ces principes donnent l’approche stratégique de l’école. Cette approche va définir le type de travail corporel qui servira à exprimer physiquement les techniques de combat issus de ces principes et finalement, la psyché sera imprégnée de ces principes par le corps (j’écrirai spécifiquement un article à ce sujet).

La pratique du sport de combat
En fait, la partie importante pour notre sujet dans sport de combat est sport. Le sport de combat en cela est semblable à tous les sports, se conforme aux règles et possède un aspect compétitif. Comme tous les sports, on peut vouloir atteindre le haut niveau ou faire de la pratique de loisir. Néanmoins, même dans la pratique de loisir, la finalité reste de battre l’adversaire. Quand on parle de battre, ça n’implique pas forcément de blessure, cela signifie simplement le surpasser dans les règles que l’on suit. Comme tout sport, pratiqué correctement et sans excès, cela amène une meilleure forme physique, une bonne hygiène de vie et entraîne le mental à être compétitif.
Ces qualités sont bien évidemment applicables dans la vie quotidienne. Le problème est que transposer le sport à la vie quotidienne est selon un formatage à double-tranchant. En effet, le sport met en avance la performance. On voit apparaître de plus en plus dans les séminaires de management des bootcamps, spartan race, de la boxe ou autres pratiques orientées opposition frontale à une difficulté. Cela oriente nettement la manière de voir les choses. L’opposition c’est bien, tant qu’on est assez fort pour l’encaisser, ça permet de surperformer. Au-delà de nos capacités à prendre, on perd. D’ailleurs, si l’on observe bien, beaucoup de champions une fois âgé et physiquement incapables de suivre cessent le sport en question (Douillet est le premier qui me vient en tête).
Cette transposition à la vie de tous les jours est une voie royale vers le burn-out ( il est par ailleurs édifiants de comparer la catégorie socio-professionnelle la plus exposée, 40 % de cadres et entrepreneurs, au burn-out et le boum de la catégorie sus-citée dans les salles de boxe).
La pratique des arts martiaux
Lorsque l’on parle aux gens, la pratique des arts martiaux se résume à un affrontement physique. Rien n’est plus faux. Les traités de stratégie sont éminemment martiaux. On pensera à Sun tzu ou Musashi évidemment mais Machiavel ou von Clausewitz étaient d’incroyables stratèges martiaux. Il est intéressant de noter que dans ces traités, la formation du combattant à proprement parlé n’est que peu abordée si ce n’est qu’il doit être discipliné. On pourrait également parler de Jigoro Kano qui était également un excellent stratège politique et qui appliquait à la lettre les principes du Judo.

La différence fondamentale avec les sports de combat et que battre un adversaire est le moindre des problèmes. On ne cherche pas à battre un adversaire, on cherche à atteindre un objectif. Si l’objectif implique un adversaire potentiel, le combattre n’est pas la seule solution. Le convaincre, collaborer, négocier, le corrompre, le tromper, le manipuler, l’éviter, le couper de ses ressources sont autant de stratégies valables. Parfois, il n’y a simplement pas d’adversaire et dans ce cas, l’art martial doit permettre d’avoir une santé et les ressources nécessaires pour faire ce que l’on souhaite. Tout cela ayant pour seul but d’accomplir la tâche que l’on s’est fixé, bref voir plus loin.
Ainsi, certaines écoles apprennent dans leur cursus la construction de forteresse (Katori shinto ryu). D’autres de la méditation ou de préparation physique. Des techniques de soins (pharmacopée chinoise ou indienne, massages), des techniques ésotériques (Silat ou arts martiaux philippins par exemple), des techniques de manipulation et de dissimulation… Si on regarde à une échelle moderne, les écoles militaires apprennent le management, la géo-politique… Utiliser et contrôler son environnement, anticiper les situations, les interactions sociales font ainsi partie intégrante des arts martiaux.
Conclusion
L’applicabilité de ce que je travaille à l’entrainement dans ma vie quotidienne est essentiel pour moi. Je préfère faire un match de foot ou de basket qu’aller faire un sparring de grappling. Simplement parce que je trouve ça plus ludique. De plus, cela développe des qualités physiques et compétitives similaires, avec un risque de blessure moindre.
Par contre, pour avoir une vision plus globale et moins la tête dans le guidon, la pratique martiale m’est indispensable. En effet, elle me permet d’atteindre mes objectifs de vie. Attention, il faut également accepté les limites qui vont avec. Si mon objectif de vie était d’être le meilleur combattant de MMA, il est évident que s’entraîner à cela serait la chose à faire. Toutefois, ce n’est pas mon cas et donc je n’ai absolument pas la prétention de pouvoir rivaliser avec ces spécialistes. Par contre, pratiquer avec des pratiquants de sports de combat est enrichissant pour la pratique martiale étant donné qu’ils sont des spécialistes du sparring.
Par contre, est-ce que cette incapacité m’empêche d’assurer ma sécurité? Non. Ma vision de la protection personnelle est la suivante. Avoir les moyens d’éviter les zones dangereuses, contrôler son environnement et y être résilient. Etre en bonne santé physique et mentale, pouvoir détecter les dangers ponctuels et les gérer. Si l’engagement s’impose (j’aurais été très mauvais…) pouvoir frapper avec ce qu’il faut pour finir l’affrontement. Cela ne garantit rien, mais le rapport temps passé risque encouru est en ma faveur… Enfin, d’avoir le réseau pour s’assurer de se sortir du mieux possibles des conséquences de l’altercation.
Ce simple énoncé de Vladimir Zaykovskiy m’a permis de prendre conscience de cette différence. Il en faut parfois peu. C’est aussi pourquoi l’utilisation des arts martiaux est si intéressante dans la société actuelle.


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