
Interview d’Alaric, spécialiste des arts martiaux français
Lorsqu’on parle d’arts martiaux, on pense d’abord aux styles asiatiques et pas aux styles européens et au arts martiaux français en particulier. Or, l’Europe a longtemps été une région très guerrière ayant développé une multitude de techniques de combat qui d’ailleurs ont certainement inspirés certains arts martiaux orientaux. Pourquoi alors ce manque de reconnaissance de ces styles? Difficile à dire. Néanmoins, des passionnés, des maîtres d’armes cherchent de plus en plus à repopulariser ces pratiques.
Parmi eux, Alaric enseigne spécifiquement les arts martiaux français dans son club du côté de Rodez, dans l’Aveyron. Pour mieux faire connaître ces disciplines, il a crée la chaîne youtube: Les arts martiaux français où je l’ai découvert. J’ai donc réalisé une interview pour en savoir plus sur ces pratiques et sa démarche. J’ai découvert un chercheur très au fait de son domaine et qui gagne à être connu. voici son interview:

Bonjour Alaric et merci pour cette interview. Tu as lancé une chaîne youtube sur les arts martiaux français. Peux-tu nous parler de ton parcours ainsi que de ce qui t’as mené à ce sujet?
Alors mon parcours est somme toute assez classique. J’ai commencé sur injonction parentale par la pratique du judo au Judo Club Catalan de Perpignan, de la ceinture blanche jusqu’à la bleu-verte avec un peu de compétitions que je n’aimais pas plus que ça. Vers la ceinture verte tous le monde avait enfin compris que le judo ne me plaisait pas…J’avais 12 ans à peu prés. Pour mes 16 ans j’avais envie de me mettre à la boxe française ( savate) mais là aussi, sur injonction parentale j’ai du revoir mon jugement et je me suis tourné vers le wushu, au Shaolin Kung Fu 66 de Perpignan, dont le professeur était Jean Claude Montosson. J’en ai fait jusqu’à 19 ans et je m’y suis régalé.
En 2006, je me suis inscrit « enfin » dans un club de savate boxe française, à l’ASPTT Rodez, de Rodez, avec pour professeur Philippe Joly. Et là j’ai vraiment trouvé mon truc, j’adore le pieds poings. En 2010, le prof me propose de devenir assistant et j’entame donc un cursus de moniteur en interne. En parallèle, je découvre de façon sporadique l’existence de techniques interdites par la FFSBF. Je décide donc de m’y pencher et d’étudier ça.
En 2013 je passe mon monitorat CQP de savate bf, et je deviens prof principal du club asptt rodez.
Rapidement après cette date je m’ennuie, je ne trouve plus aucun défis techniques, je suis capable de faire toutes les techniques garde à gauche et garde à droite… je m’ennuie. A tel point que je pense même arrêter sous peu.
Puis j’étudie sérieusement mon premier traité d’époque, le « Charlemont 1899 » qui est une révélation ! Pieds poings lutte ! La boxe française, c’est du pieds poing lutte. Les pieds ne sont pas prédominants mais équilibrés avec les poings. La lutte n’est pas comme on le conçoit, c’est à dire sans coups, mais ce sont des coups de lutte, fait pour assommer l’adversaire par la projection… J’avais trouvé ma voie !
Je continue donc mes études sur la pratique de la canne, du bâton et plus succinctement du sabre.
Fin de saison 2018, je quitte l’asptt pour créer un nouveau club à la MJC de La primaube, mon village.
Un club 100% arts martiaux français ! 🙂
Pourquoi faire les arts martiaux français en me basant sur les traités du 19 eme siecles ?
Et bien parce que c’est là, dans ces livres qu’on retrouve l’essence même de ces arts, c’est à dire l’autodéfense. Je ne suis pas seul dans cette démarche et il y a une fédération à laquelle j’appartiens, la Fédération Française des Arts Martiaux Historiques Européens.
Les arts martiaux français, et généralement européens, sont assez peu connus du grand public si l’on exclue la boxe française et la savate. Peux-tu nous citer les principales disciplines que l’on peut recenser en France depuis le moyen-âge ?
Depuis le moyen il ne reste plus grand chose à ma connaissance, mais par l’intermédiaire de la FFAMHE notamment, ces arts martiaux ressuscitent !
On trouve principalement l’épée longue, la dague, les haches nobles, l’épée de coté, l’épée de cour, la lutte (Il y en a plein de style), et le sabre. Et il y en a encore pleins d’autres dont j’ignore l’existence !
Quelles sont celles qui t’attirent particulièrement et pourquoi ?
Alors j’aime bien l’épée longue allemande, elle demande beaucoup de fluidité et de coordination. Mais mes pratiques préférées sont plutôt du 19 eme siècle, avec la canne, le bâton et le sabre.
Ce sont des pratiques esthétiques qui prennent soins de son pratiquant en faisant travailler selon la mécanique naturelle du corps. Elles sont accessibles au plus grand nombre, en cours particuliers ou en cours magistral de masse. On peut travailler vraiment au sur mesure :
-Technique et maîtrise
-assaut à la touche
-combat avec recherche d’efficacité type autodéfense.
Ce sont des arts martiaux qui nous ressemblent, à la fois simple au premier abord, et terriblement techniques quand on désire approfondir.
Comment définirais-tu la particularité française dans les arts martiaux ? Quelle est l’influence de cette culture dans la pratique ?
La première particularité pour la boxe, c’est l’usage des pieds.
A ma connaissance, aucun autre pays européens, hormis la France, n’a utilisé les jambes et les pieds pour le combat à mains nues.
On retrouve par contre l’usage des jambes chez les peuples Amazighs d’Afrique du nord. Il y aura même des rencontres « sportives » entre pratiquant de savate ou de boxe française et locaux durant la conquête de la future Algérie.

De manière plus générale, au 19 eme siècles et surtout dans la 2 eme moitié, les arts français sont vu sous 5 optiques :
-le spectacle : ce que l’on appelle le saltimbanque. Ce sont des assauts démonstratifs avec des techniques retournées et acrobatiques, un peu dans le principe des « nuits des arts martiaux », il y a la boxe « saltimbanque », la lutte, la canne et le bâton principalement
-l’autodéfense : pour le coup de sont des techniques simples et rapide, visant à éliminer le danger sur un ou deux coups. Pour la boxe, on l’appellera « boxe dans la ligne », les pieds ne monte pas au dessus des cotes flottantes et les coups sont dans 90% des cas dans l’axe.
-la culture et l’entretien physique ( voir même hygiéniste) : C’est Charlemont qui sera le plus fort a ce jeu et sa méthode est vraiment efficace pour l’entretien du corps, son developpement et pour améliorer le moral. Je l’utilise pour mes cours et les résultats sont excellents !
-l’éducation physique et l’épanouissement des jeunes : Il y aura un engouement dans les programme sportif scolaire pour la boxe et la lutte notamment.
-la formation physique, martiale et de discipline dans l’armée : un moyen efficace d’entretenir la troupe, de la former, et de la discipliner.

JAMAIS, et je pèse mon mot, jamais il n’y a eu d’approche mystique ou spirituelle dans la pratique martiale comme on peut le trouver dans les arts japonais ou asiatiques en général.
Ensuite chaque professeur, chaque » école » a son approche et il y a pas mal de rivalité entre chaque école.
Quel est le rapport maître élève dans ces disciplines ?
Il évolue au fil du temps, au grès des découvertes pédagogiques.
Grosso modo, au début, le professeur ne forme que quelques élèves à la fois. C’est une méthode efficace pour la qualité mais cela restreint la taille des écoles.
Quand l’armée s’intéresse à la BF, il lui faut une méthode de formation de masse et c’est le régiment de Joinville qui trouvera la solution ! Solution qui s’exportera partout dans le monde et notamment en chine au temple de Shaolin…
C’est à partir de cette méthode que le nombre de pratiquants augmentera de façon significative jusqu’en 1914…
Existe-t-il des pratiques avancées ésotériques comme ce que l’on peut retrouver dans les arts martiaux asiatiques ?
Jamais pour la canne, la boxe, la lutte le sabre et le bâton au 19 eme siècles. Ces notions sont totalement étrangères aux européens en général même.
Quelle est la part des armes par rapport au combat à mains nues dans les arts martiaux français ?
Les mains nues et la lutte sont le derniers recours pour l’autodéfense, il y a ensuite la rencontre sportive ou bien le règlement de duel sans intention de donner la mort.
Ensuite, tout le reste c’est : dague, canne -canne épée, bâton, sabre, épée de type fleuret, baïonnette.
Est-ce que ces disciplines sont d’actualités en termes de pratique de la self-défense ?
Non malheureusement ou de façon très rare. Il y a des clubs qui retravaillent les techniques pour les redécouvrir. Par contre…
Dans la fédé de savate bf, ils font de la « savate-defense » une espèce de self défense d’inspiration asiatique qui n’a plus rien a voir avec ses origines. Le peu que j’en ai vu, il y a pas mal de clés de soumission etc etc, chose que les maîtres de l’époque déconseillent fortement , privilégiant la frappe à la lutte. Et il y a le bâton défense qui se pratique avec un tonfa… sans commentaire.
Existe-t-il également un enseignement autour de la protection personnelle, par exemple, tel que peut l’envisager un personnage comme Vidocq ?
Ce sont des arts martiaux, donc l’objectif premier est l’autodéfense et la protection d’autrui.
Néanmoins, des concepts comme la désescalade ne sont pas évoqués dans ce que j’ai pu lire. La vision de l’époque n’est pas basée sur le principe d’aller chercher la police pour se protéger, mais plutôt sur le fait que mettre une bonne “correction” c’est mieux. Dans le traité d’Emile André, et c’est à mon sens la différence entre les arts français d’autodéfense et les arts japonais par exemple, c’est qu’on ne cherche pas le sang et la mort. On met une correction à coups de poings, de pieds, de canne et de bâton, oui ça c’est pas un soucis. Mais sortir le couteau, la canne épée, ou le revolver (libre de port à l’époque) conduit à une autre optique, et les maitres mettent en garde contre cette surviolence si elle n’est pas nécessaire.
C’est ce que j’appelle l’auto défense raisonnée, et ça me plait beaucoup!
Est ce que la savate et la boxe française sont la même chose ?
Non ! Clairement non ! La savate est l’ancêtre de la BF, c’est un fait, mais elle n’était pas aussi riche techniquement ni aussi efficiente. C’est une version obsolète du système BF. La boxe française de Charles Lecours, de Joseph Charlemont, d’Emile André est supérieure à la savate du temps de Vidocq, C’est indiscutable.
A ton avis, pourquoi ces disciplines sont sous-représentées ici ?
Question très complexes ! Et aux réponses multiples !
-Tout d’abord, culturellement les arts martiaux français n’ont jamais eu pour vocation le sport mais l’autodéfense, à la différence de la boxe anglaise. L’argent des parieurs n’a jamais été un moteur. Il y avait des spectacles, des démonstrations des « assauts concerts », mais rien de comparable à la boxe anglaise !
-Sous la Restauration et sous le Second Empire les combats sportifs à outrance et sanglants sont strictement interdits, une raison de plus pour que, ces arts restent dans les salles et ne soient pas populaires médiatiquement ( hormis la bf dans une certaine mesure.)
-1914/1918. c’est 4 années tuent littéralement les maîtres et les élèves. C’est un miracle qu’il y ait eu des clubs après ça…
-l’abandon par l’armée du sabre du bâton et de la canne entraîne la disparition des pratiques dans le civil, il ne restera qu’une poignée de pratiquants et les traités pour sauver les meubles.
-1939/1945… la c’est vraiment catastrophique. Il y a moins de 1000 boxeurs de bf après guerre.
Le comte Baruzy fera un excellent travail de résurrection mais entraînera aussi malgré lui la sportivisation de la bf et de la canne, et donc un abandon de l’essence même de nos arts martiaux. I
lIs ne sont plus arts martiaux mais sport de combat, avec des règles et des codifications qui n’auront pour résultat qu’une décadence technique. Aujourd’hui ce n’est plus de la savate, ni de la boxe française traditionnelle, mais un accouplement de laboratoire qui donne une espèce de french kick boxing avec des chaussures.
Mais attention ça n’enlève rien aux qualités physiques et mentales des tireurs ! Ce sont de grands athlètes et ils font bien ce que leurs entraîneurs leur ont appris !
Que peut-on faire à ton avis pour faire revivre pleinement ces pratiques ? Envisages-tu d’être un moteur dans cette démarche ?
Et bien déjà il faut en parler, voilà pourquoi la chaîne youtube et les pages FB ! Faire essayer, et aller au devant des gens.
Je pense être un moteur dans l’approche AMHE des arts martiaux français dans ma region immédiate. L’an dernier j’ai eu 100 adhérents dont 50% de filles dans mes cours. Pour une agglo de 75000 habitants avec un vaste choix de club, je suis plutôt fier du résultat.
Avec mes élèves, nous avons fait un petit show en 2018 lors du plus gros tournoi français d’AMHE à Clermont Ferrand avec le club Aura Combat Historique.
La saison prochaine j’ouvre mon nouveau club, il y aura 2 ou 3 saisons de compliquées mais je n’ai aucune inquiétude.
As-tu une actualité particulière ?
Je vais au stage de Scott Adkins à Bordeaux le 22 septembre ! 🙂
Un dernier mot ?
Les Arts martiaux Français, des siècles de modernité !
Encore merci pour cette interview et bon courage pour ta chaîne youtube: les arts martiaux français !!!
J’espère que mes réponses satisferont les lecteurs, et je me tiens à disposition si vous voulez rentrer un peu plus dans les détails ! 🙂

