
Interview de Clémentine, instructrice d’arts martiaux historiques européens
Ce blog a pour objectif de promouvoir les arts martiaux en général et de donner la parole à ceux qui sont moins exposés. Parmi elles, paradoxalement, il y a les arts martiaux historiques européens (AMHE). Nous avons déjà parlé avec Alaric des arts martiaux français mais aujourd’hui, nous nous intéressons aux AMHE en général. Pour cela, j’ai eu le plaisir d’interviewer Clémentine, instructrice dans le groupe toulousain de l’Ost du Griffon Noir et membre du comité de la fédération des arts martiaux historiques européens. Cette interview assez étonnante par certains aspects est très informative pour connaître un peu l’état de la pratique aujourd’hui en France.
Bonjour Clémentine et merci d’avoir accepté cette interview!
De rien ! =D
Tu es instructrice à l’Ost du Griffon noir à Toulouse et au comité administratif de la fédération des arts martiaux historiques européens. Peux-tu nous parler de ton parcours ainsi que de ce qui t’as mené à cette pratique?
Oui en effet je suis encore à l’OGN pour quelques temps. J’ai découvert cette association en 2011, quand mes amis mon offert une découverte AMHE proposée par Anthony Menting à l’époque de sa boutique Le Griffon Noir. Elles se sont dit que ça me plairait. Pour le coup elles ont eu le nez creux !
C’est donc comme ça, en débarquant comme un touriste que j’ai découvert les AMHE. J’ai aimé ! Puis petit à petit, je me suis impliquée, de plus en plus, ça c’est fait toute seul et assez naturellement en fait. Que ce soit à l’OGN ou à la fédération.
A l’OGN, l’année où la discipline que je pratique, le I,33 à perdu tout ces instructeurs d’un coup, avec Baptiste, nous sommes devenus instructeurs afin que le I,33 puisse continuer d’être transmis dans l’asso. On faisait parti des pratiquants les plus anciens on a donc reprit le flambeau comme on a pu. Au début c’était une nécessité, puis personnellement j’y ai pris goût !
Les AMHE, sont assez peu connus du grand public. Peux-tu nous citer les principales disciplines que l’on peut trouver et pratiquer en France ?
Il y en a un certain nombre à présent ! Beaucoup même, ça se développe au rythme de l’intérêt par les membres des sources disponibles, avec pour limite le temps et la place dont on dispose pour pratiquer !
Il se dégage toute de même, une forte pratique de l’épée longue 15 ième siècle. Il y en a quasiment dans toutes les assos de France. Mais on peut également pratiquer la répière, la side sword, le sabre, l’épée bouclier, l’épée bocle…la lutte, la gladiature, le self défense 19ième siècle, le combat Viking ou la baïonnette. On peut continuer assez longtemps comme ça dans la mesure où les AMHE couvrent une période allant de l’antiquité au début du 20 ième siècle. Tant qu’une ou des sources existent, qu’elles proviennent de la zone européene et que la pratique est éteinte, on rentre dans le cadre des AMHE….même si ces critères, avec les nuances qu’ils comportent, restent encore sujet à débat.
Quelles sont celles qui t’attirent particulièrement et pourquoi ?
J’ai tout de suite accroché sur le I,33. Déjà j’aimais l’idée d’utiliser un simulateur d’épée avec un bouclier. Puis la complexité qu’apporte les combinaisons de jeux possibles dans cette pratique. Puis bien moins reluisant….j’ai des soucis de coordination et je me suis dis que cette pratique utilisant une arme dans chaque main et demandant des actions différentes et simultanées, ça m’aiderait peut être ! Et tout doucement ce fut le cas !(même si c’est pas encore gagné !)
Comment définirais-tu la particularité des arts martiaux historiques européens comparés aux arts martiaux asiatiques ? Quelle est l’influence de la culture européenne dans la pratique ?
Et bien la particularité principal des arts martiaux historiques européen, c’est que justement ils proviennent d’Europe et non d’Asie !
Plus sérieusement, ça fait partie des questions qui appellent une réponse qui peut durer… !
Déjà, les arts martiaux asiatiques ne se sont pas éteint. Ils ont une continuité dans l’histoire. La particularité des AMHE est que non, à un moment donné ces disciplines ont disparues. Il a fallu les « ressortir des cartons » si je puis dire, sans avoir de « cours » donnés par les auteurs.
En ce qui concerne l’influence de la culture, pour ce qui est de mon avis sur le sujet, à partir du moment ou quelque chose est crée par un individu ou une communauté d’individus il est forcément influencé par son environnement, sa culture, son époque…
Pour les AMHE, je pense que le contexte est fondamental pour comprendre au mieux une source. Son époque, son lieu d’apparition, la période dans laquelle elle est apparue, si c’était une période de trouble ou non, dans quel milieu social…etc….à forcément influencé son auteur. Que ce soit en Europe ou ailleurs, le mécanisme de fond est le même. C’est mon avis.
Après la difficulté est de savoir à quels niveaux et à jusqu’à quel point ! On a pas toujours ces infos, encore moins au complet. Les pratiquants d’origines sont morts depuis longtemps et ne nous ont pas laissé d’explications plus que les sources qui ont été mises au jour. On doit se débrouiller avec ça. C’est aussi difficile que c’est diablement intéressant !
Vous pratiquez si j’ai bien compris à partir de texte et d’images. J’ai en mémoire une interview de Roland Hazenberg qui expliquait avoir appris le karate sur un livre. Lorsqu’il a montré son karate à Henry Plée, ce dernier lui avait dit qu’aucun enchaînement n’était correct. Quelle est la part d’incertitude sur la bonne exécution technique sachant que bien souvent, c’est l’amené et les transitions qui font le fond d’une technique? N’y a-t-il pas un risque de recourir à des formes techniques provenant des arts martiaux asiatiques qui sont beaucoup plus disponibles pour combler les trous ?
C’est aussi une difficulté, on est obligé d’interpréter, en tentant de se rapprocher au mieux de ce que l’on pense être le plus crédible ! Et c’est subjectif évidement !
Là encore, tout comme le contexte de création de la discipline, on n’a pas toutes les infos à propos des techniques. Il est possible que l’on se plante complètement sur certaines choses, d’autres moins. Ça fait partie des choses à ne pas oublier. On peut se planter ! Des avis divergent forcément à ce niveau, c’est donc intéressant et surtout fondamental de croiser les avis.
Il y a aussi un fort intérêt à écouter l’avis de divers types de personnes, que ce soit des archéologues, des historiens, des gens qui font de la biomécanique et de tenir compte de leurs approches.
Mais l’idée de base, c’est de savoir interpréter en tenant compte du contexte, rester dans la logique de l’époque en la teintant de logique tout court, sans déraper dans la surinterprétation….ce qui finalement est assez difficile et revient un peu à s’inspirer sans s’inspirer!^^
Autre question technique, un forgeron traditionnel m’avait expliqué que la forge des lames en fonction de la technique utilisée et de l’époque change énormément le mouvement et ce qu’il est possible de faire avec une épée par exemple. Comment choisissez-vous vos armes et vos forgerons pour coller au plus près des contraintes techniques liées à l’arme ?
C’est impressionnant de voir à quel point un petit détail sur une épée change le ressenti lors de son maniement ! Cela dit je ne suis pas la mieux placée pour en parler avec précision. Un forgeron reste la source d’info la plus fiable !
Cependant quand on choisi nos simulateurs (oui on utilise des simulateurs d’épée ! En acier flex et non affûtés. Le but étant de garder en vie son partenaire de sparring !^⁾, même si finalement les critères sont différents d’une véritable épée, on va en effet choisir ou demander au forgeron un simulateur qui nous correspond en terme de poids, de taille, de point d’équilibre…etc, et qui se rapprochent (on pense, on l’espère!) des armes utilisées à l’époque pour la discipline pratiquée.
Bon….on sait que la plupart du temps on en est loin pour ce qui est des simulateurs…..(pour les épées, les vrais, c’est encore autre chose!)
Quel est le rapport maître élève dans ces disciplines ?
Il n’y a pas de maîtres !!!
Les maîtres sont morts il y a longtemps et ils n’ont pas laissés de pratiquants nous ayant transmis ces techniques jusqu’à aujourd’hui. Il y a eu coupure de pratique dans le temps. D’où le terme art martiaux historiques.
On a donc des pratiquants. Et ceux qui le veulent, sont motivés et ont suffisamment de pratique pour transmettre l’interprétation d’une discipline, peuvent devenir « instructeurs ».
Quant aux rapports pratiquants/instructeurs, il varient d’une asso à l’autre.
A l’OGN, les instructeurs vont présenter leur interprétation de la source en cours construits et cadrés après l’avoir étudié en comité restreint en pole étude au moins une ou deux années. Mais tout les pratiquants peuvent donner leurs avis. On ^n’a pas la science infuse et on n’est pas clairvoyant à travers le temps. Tout le monde peut se planter et tout le monde peut avoir des idées intéressantes.
Existe-t-il des pratiques avancées ésotériques comme ce que l’on peut retrouver dans les arts martiaux asiatiques ?
Pas que je sache ! Et mon fort intérieur ne peut s’empêcher de répondre que je ne l’espère pas!^^ certes, soyons tolérant, cet type de variante peut parfois être pratiqué de façon tout à fait crédible, sérieuse, mais c’est aussi une pente très glissante qui mène très rapidement à des pratiques tout à fait discutables ! Vous en trouverez un paquet sur youtube qui dérivent des arts martiaux asiatiques. Il y en a qui valent des points!^^
La pratique AMHE est assez récente en fin de compte, on a peut être pas encore eu suffisamment de reculs et de pratiquant pour voir éclore ce type de variantes.
Quelle est la part des armes par rapport au combat à mains nues dans les AMHE?
La proportion est à dominante armée. Mais le combat à main nue commence à très sérieusement faire sa place !
Mais en terme de chiffre exacte, je dirais une bêtise !
Est-ce que ces disciplines sont d’actualités en termes de pratique de la self-défense ? Est-ce que certains viennent les pratiquer dans cet objectif ?
Le mieux serait de demander à ceux qui les pratiquent, ils sont mieux placés que moi pour parler des sources qu’ils étudient et des aspirations des pratiquants qu’elles drainent. Mais je suppose qu’il y en a qui viennent avec cette idée, mais je suppose également que les pratiquants plus anciens doivent très vite les convaincre que ce n’est pas une super idée ! Ce sont des AMHE et ils n’ont pas vocation d’être utilisés dans la vie de tout les jours.
Existe-t-il également un enseignement autour de la protection personnelle ? A savoir, détection d’une menace, désescalade, subterfuge ?
Pas que je sache, enfin pas en tant que tel. On a des disciplines basées sur le self défense qui abordent certaines de ces notions. Mais pas de disciplines en tant que tel uniquement sur ces aspects.
…Après je dirais que sur les disciplines que l’on pratique, on connaît peu. Mais alors sur les disciplines que l’on ne pratique pas, on connaît très peu ! Et je ne voudrais pas dire de bêtises. Le mieux serait de demander à nos amis lutteurs !
A ton avis, pourquoi ces disciplines sont sous-représentées ici ?
Pareil, le mieux serait de demander l’avis des pratiquants. Mais il se trouve que les premières personnes à avoir « ouvert les cartons » et étudié le contenu ont, semblerait -il mis le cerveau dans des « disciplines à épées » ! Les AMHE ont donc commencé par se développer par ce bout là. Petit à petit, des disciplines connexes sont venues grossir les rangs des sources étudiées, puis de fil en aiguille….les pratiques ce sont diversifiées !
Peut être cela aurait été différent (sans doute même !) si les tout premiers curieux avaient commencé par étudier des sources de combat à mains nues!
Combien de membres compte la fédération des AMHE aujourd’hui ?
On est en France environ 1000 pratiquant affiliés à la fédération.
Existe-t-il des diplômes pour l’enseignement ?
C’est en train d’être mis en place pour la fédération. Compte tenu du travail que cela représente et que tout est a créer, cela prend du temps. Mais c’est en très bonne voie. Le but étant à terme d’être reconnu par les autorités, ce type de démarche ne peut que nous y aider.
Que peut-on faire à ton avis pour faire revivre pleinement ces pratiques ? Comment la fédération peut-elle développer cette pratique ?
Continuer de découvrir, pratiquer, partager, c’est la base. Continuer d’intéresser de nouvelles personnes….etc
A petite échelle dans les assos c’est ce qu’on peut faire. De ce que j’en vois on le fait plutôt bien ! =D
On a aussi besoin de forces vives, de gens qui ont envie de s’impliquer dans l’organisation, le fonctionnement dans les assos, mais aussi la fédération (qui est une asso elle aussi!). Si on a des gens impliqués, il y aura des idées, des actions et la pratique en générale se développera…
As-tu une actualité particulière ?
Mis à part que je bouge de Toulouse, donc de l’OGN…après ça reste une infos pas d’une importance capitale hein!^^
Un dernier mot ?
J’ai livré mon avis, il n’engage que moi. D’autres personnes pourront être d’accord ou pas !
Je tiens toujours à le spécifier. Je l’ouvre mais je n’impose pas !;)
Encore merci pour cette interview et bon courage pour le développement des AMHE!!!

