
Le mouvement, pilier du systema
Cela faisait un petit moment que je n’avais pas écrit d’articles sur la thématique des arts martiaux. Je reprend aujourd’hui avec un élément central du systema, le mouvement.
Pourquoi écrire moins en ce moment? Un peu de lassitude, une activité importante (y compris sur mon blog sur la respiration). En réfléchissant à mon intérêt actuel pour la pratique, je me suis rendu compte que la partie combat/ duel m’ennuie. Il y a toujours finalement quelqu’un de plus fort, plus vicieux, mieux armé pour nous battre donc pourquoi être le meilleur combattant devrait être une recherche centrale? Et est-ce qu’être un excellent combattant apporte une solution quand on pas de ressources pour vivre?
En fait, la raison pour laquelle je pratique aujourd’hui est que la pratique sur le corps change profondément le mental. Ceci est inestimable puisque les qualités ainsi développées sont applicables dans la vie quotidienne. La condition pour cela est d’éduquer le corps à travailler en fonction des besoins de la vie quotidienne. On va donc revenir à une recherche d’efficacité dans le cadre qu’on vise. Ceci fera l’objet d’un article plus tard. Dans ce billet, je veux parler d’un élément central qui change profondément corps et esprit, le mouvement.

Le mouvement, quatrième pilier du systema
Le mouvement fait partie des quatre propriétés que doit comporter une action pour que cela soit considéré comme du systema Ryabko (aucune idée pour les autres). Voir Vladimir Vasiliev bouger est d’ailleurs quelque chose de vraiment surprenant (surtout face à lui). Le mouvement est ce qui donne l’impression qu’un geste est “rempli”. Pour enseigner le mouvement, le systema propose tout un tas d’exercice pour donner de la mobilité au corps. Le corps devient ainsi capable de bouger de façon très précise et dissociée. Généralement, si on demande aux pratiquants de systema de leur montrer des exercices de mobilité, ils vont faire des acrobaties basses, bouger leurs corps sur des poussées ou des saisies. Pourtant, ceci n’est pas nécessairement du mouvement. C’est de la mobilité.
En systema, le mouvement est autre chose. C’est de la mobilité peut-être (encore que), mais c’est surtout de la puissance. Est-ce que quelqu’un trouve Mikhail Ryabko mobile? Cela peut se discuter… Par contre, il est toujours en mouvement. Quelle différence entre les deux? La tension. Paradoxalement, donner une impression de mobilité sans mouvement provoque beaucoup de tensions. La raison est assez simple, le mouvement fournit de l’énergie qui permet de “porter” le poids de la mobilité. Sans mouvement, le corps doit compenser l’énergie développée en créant des supports ailleurs dans le corps. La conséquence est une perte du mouvement…
Comment générer ce mouvement alors? En s’appuyant sur les autres piliers, la structure et le relâchement d’abord, la respiration ensuite. Je ne cite pas par ordre d’importance mais plutôt d’organisation. En effet, pour transmettre du mouvement de façon contrôlée, il faut une bonne structure. Un peu à l’image de rails qui cadrent le mouvement d’un train pour diriger correctement cette énergie. Le relâchement est lui aussi nécessaire puisque la moindre tension va empêcher le mouvement de circuler. Par relâchement c’est évidemment les tensions corporelles mais surtout les schémas moteurs qu’il faut corriger. Enormément de pratiquants que j’ai vu ne peuvent pas générer de mouvement simplement à cause de leur manière de marcher. D’ailleurs, détail amusant, quand Vladimir Zaykovskiy est venu en stage chez moi, il a demandé aux participants où était le mouvement. Beaucoup ont montré le centre de gravité. C’est justement l’opposé du mouvement.
C’est là qu’intervient la respiration. La respiration permet de modifier la structure et de donner ainsi de nouvelles possibilités de schéma moteur. Ensuite, la respiration permet de générer constamment du mouvement que l’on peut rediriger et sentir qu’il nous parcourt en permanence. C’est donc la première étape pour sentir le mouvement.
Le lien entre réaction corporel et mental
Le mouvement a énormément de conséquences dans la façon de pratiquer. On a l’impression que tout est plus fluide. Fluidité qui est à chercher dans le mouvement et non pas dans le relâchement d’ailleurs. Néanmoins, ce qui m’intéresse plus, c’est comment le mouvement peut influencer ma manière d’être. La posture influe sur le caractère et l’inverse est vrai aussi. Si vous n’êtes pas convaincu, une expérience très simple à faire. Parlez à quelqu’un puis penchez vous très légèrement vers lui. Analysez ce que vous ressentez. Ensuite, éloignez votre buste de lui idem.
Ces simples postures augmentent naturellement l’agressivité ou la peur. Ce phénomène est bien connu dans les arts martiaux où plus la discipline cherchera à être agressive, plus les formes de corps seront vers l’avant. De même un style très sautillant va donner une tension corporelle constante qui gardera la psyché excité tandis qu’un style très ancré va donner du calme mais aussi une résistance au changement.
En fait, cela peut sembler de la psychologie de comptoir mais quand on s’intéresse au psycho-corporel on se rend compte que là où les tensions musculaires sont localisées, on trouve une influence sur la psyché. Certains courants ostéopathiques lient cela aux fascias dont les tensions génèrent et enregistrent les émotions. Pas impossible selon moi. Toutefois, je n’ai aujourd’hui pas d’explication concrète à cela.
Si on en revient au mouvement, il permet de ne jamais laissé l’opportunité aux tensions de se fixer. Le résultat sur la psyché sera une grande capacité à l’adaptation. En effet, pas de tensions signifie pas d’accroche et pas d’accroche, c’est la liberté. Cette liberté permet ensuite de prendre de la hauteur sur les choses et d’observer sans être bloqué par du parasitage émotionnel. Par conséquent, la recherche du mouvement permettra de développer cette qualité adaptative et une plus grande liberté vis à vis des émotions et des pulsions instinctives. Bien sûr, il y a des désavantages à ce type de corps psyché. Entre autres, une tendance à toujours aller vers la facilité dans le sens solution la plus simple pour aller au résultat. Pourquoi souffrir pour obtenir la même chose? Toutefois, cette façon de penser peut mettre en porte à faux.
Le mouvement dans la vie quotidienne
Quel avantage le mouvement apporte-t-il dans la vie quotidienne? Le mouvement quand il est assimilé par le corps permet de donner peu de prise aux choses. Quand le mental ne s’accroche plus, on gagne en lucidité sur les choix que l’on fait, sur les situations que l’on vit. On est également beaucoup moins accroché par les émotions. On s’intéresse à ce qui est efficient et fluide et on fuit tout ce qui pourrait nous ralentir/ retenir.
De même, reculer pour mieux sauter devient à la fois naturel et surtout totalement logique pour notre forme de corps. Ainsi, professionnellement par exemple, un échec n’affectera pas tout le reste de votre vie. Parce qu’il n’y aura pas de prise. De plus, l’esprit étant plus agile, il est capable dans la contrainte de prendre du recul et de voir les solutions possibles. cela ne veut pas dire qu’il y en a forcément, mais en tous cas, celles qui existent auront plus de chances d’être mise en oeuvre. Enfin, le mouvement permet de différencier le risque de la peur. Cela permet justement de prendre des risques et de se lancer (pas de risques idiots non plus) au lieu de réfléchir et de rester figé par la peur.
Autre point, le mouvement n’aime pas la confrontation qui est un arrêt. On se retrouve donc dans un état d’esprit beaucoup plus collaboratif où il est naturellement plus simple et plus agréable d’entraîner des gens avec soi plutôt que d’aller s’y confronter. Et s’ils ne veulent pas, de les laisser sur place sans accroche toujours. Cependant, attention! de la même manière qu’il ne faut pas confondre mobilité et mouvement, il ne faut pas confondre renoncement et lâcher-prise!
Bref, le mouvement est un atout stratégique de premier ordre à développer pour avoir une action plus efficace dans sa vie.
Conclusion
Le mouvement est un point central du systema. clairement, c’est lui qui permet de rendre le geste efficace, simple et sans tension psychique. C’est également un apport important du systema sur la construction de soi puisque le mouvement va énormément changer le pratiquant. Comment travailler le mouvement? En essayant de réellement le sentir et non pas de singer Vladimir avec des gestes improbable. Le mouvement, c’est comme être sur une vague. on ne cherche pas à décider de comment la vague se comporte, on utilise juste l’énergie qu’elle nous donne pour la diriger. Le premier pas à faire pour le ressentir: respirer et être conscient du mouvement interne que cela provoque. Ensuite? Arrêter de respirer et se rendre compte que le mouvement est toujours là…
Quand ce sera naturel, vous constaterez alors un grand changement dans votre manière d’aborder les choses dans la vie de tous les jours. Le mouvement est donc une priorité de recherche en systema Ryabko. Point positif, c’est loin d’être le travail le plus ingrat puisque ces effets se voient directement dans la pratique. Enfin, le mouvement donnent aussi accès au travail invisible qui lui même donne accès au flow des sportifs. Tout un programme!
A bientôt
Yvan

