Préparer un cours d’arts martiaux

Récemment, on m’a demandé comment je m’y prend pour préparer mes cours en tant qu’enseignant. C’est une question intéressante et j’ai donc décidé de partager la réponse dans cet article. En effet, je ne pense pas qu’il y ait une formule parfaite pour enseigner et que le formatage n’est pas forcément une bonne idée. De même, c’est aussi la pédagogie qui peut faire la différence entre deux clubs d’une même discipline. Pas dans le sens où l’une sera meilleure que l’autre mais plutôt que l’une parlera à certains plus que l’autre et vice et versa. Voici donc comment je vais préparer un cours d’arts martiaux.

 

Pourquoi un cours?

En fait, la question de base à se poser commence par là. Pourquoi un cours? En d’autres termes, pourquoi décider de structurer une session de travail pour y transmettre de l’information de façon organisée? Cela à l’air bête dit comme ça mais il existe des tas de façon d’apprendre n’impliquant pas de cours. Cela donne des auto-didactes. Par contre, cela donne aussi beaucoup de déchet. La question qui se pose est de savoir si n’importe qui peut être un auto-didacte ou est-ce que ceux qui sont auto-didactes sont des gens intrinsèquement doués et qui seraient bons dans n’importe quelle situation?

Prenons les mathématiques par exemple. Certains grands mathématiciens à moins de 10 ans avaient redécouvert le concept de suite. Certains adultes aujourd’hui n’y comprennent rien. Et il y a plus de personnes qui n’y comprennent rien que de gens qui ont compris à 7 ans. Il semble donc que passer par une méthode d’apprentissage soit tout de même plus sûr pour arriver à une compréhension de quelque chose.

La raison principale de donner un cours est donc de donner une même information et une même compréhension au plus grand nombre. Ceci implique donc de faire un choix sur l’information à transmettre et sur la façon de transmettre.

Quelle information transmettre?

L’information à transmettre est importante. Organiser cette information peut-être encore plus. Qu’avez-vous le plus de facilité à retenir? Une suite logique d’informations ou une série de mots donnée au hasard? Pour moi, donner un cours ce n’est pas seulement balancer de l’info. C’est faire en sorte que tout ce que je donne soit logique par rapport à ce que j’ai déjà donné et à ce que je vais donner. D’ailleurs, je replace régulièrement un exercice dans le contexte général de travail pour que mes élèves soient conscients de ce qu’ils font et pourquoi.

Pour cela, il est important d’être clair avec le contenu de la discipline. Cela peut paraître évident et pourtant. Commencer à enseigner après 6 mois ou un an de pratique (et je parle de vraie pratique à hauteur d’au moins une dizaine d’heure par semaine plus des recherches) ne permet pas d’avoir le recul nécessaire à la compréhension d’une discipline. Tout au plus, vous aurez l’occasion d’avoir un assemblage plus ou moins organisé de techniques/ exercices. Avec une pratique sérieuse vous pouvez aussi bien réaliser ces techniques ou exercices. Néanmoins, cela ne vous fait pas comprendre la discipline. Si on reprend les mathématiques, en six mois à un an vous pouvez savoir bien compter, calculer et comprendre quelques concepts complexes. Vous êtes loin de comprendre les mathématiques.

La raison pour cela est simple, il faut avoir le temps de prendre du recul. Il faut aussi avoir suffisamment d’éléments pour ne pas combler les trous avec des concepts ou techniques venant d’ailleurs. Pas que ce soit nécessairement faux ou pas fonctionnels, mais si ça vient d’une autre discipline, il y a des chances que la recherche ne soit pas la même. On aura donc une solution technique mais pas forcément logique.

Seule une compréhension globale de votre pratique vous permettra de choisir les bonnes informations à transmettre.

Le choix de la méthode de transmission

Comment faire passer l’information? C’est la deuxième difficulté. Nous pratiquons des disciplines à la fois corporelles et intellectuelles. Ceci implique que la méthode de transmission doit inclure les deux aspects. On aura donc une échelle allant de la théorie pure au tableau jusqu’à de la pratique libre du combat. Comment alors faire passer l’information?

L’approche technique et sparring

La structure la plus classique est de proposer une technique, la répéter puis de la mettre en oeuvre dans un assaut codifier puis ensuite de faire de l’assaut libre. L’avantage de cette méthode est de faire beaucoup de sparring rendant les pratiquants habitués à une forme donnée de combat, parfait pour des compétiteurs. Poussé à l’extrême, une championne du monde de jiujitsu brésilien m’expliquait que pour préparer un combat, son coach lui avait crée une arborescence de techniques à placer en fonction de ce que l’autre faisait. On en arrive à un vrai jeu d’échecs, très intéressant en soi. On peut appliquer cette méthode d’enseignement à tout les sports de combat ou arts martiaux de compétitions (=sports de combat).

Néanmoins, ceci est possible parce que même si il y a énormément de possibilités, le cadre compétitif fait que ces possibilités sont limitées. Si je reprend l’exemple du JJB, on enlève la veste, le jeu change. On interdit les soumissions, le jeu change. On décide que si le dos touche le sol, on perd, le jeu change. A l’inverse, on rajoute les morsures, le jeu change. On rajoute une arme à feu, le jeu change… Comment alors réagir si dès qu’il y a une variable en plus, l’arborescence ne couvre plus du tout le problème? Attention, je ne dis pas qu’il y a une méthodologie pour apprendre à réagir face à une arme à feu (par exemple). Par contre, quelle est la logique de l’école face à cette configuration? J’ai pris le JJB comme exemple, mais j’aurais pu prendre n’importe quelle autre style.

L’approche par principe

L’autre approche consiste à ne s’intéresser que peu à la technique pour devenir une sorte d’incarnation de principes. Une illustration de cette approche pourrait être par exemple l’aikido où absorber et rediriger une trajectoire vers le centre doit être à la base de n’importe quel mouvement. L’idée ici va être d’utiliser une mise en situation pédagogique (le plus souvent une technique) qui permettra de mettre le pratiquant dans une situation où il cherchera à vivre ce principe. L’objectif ici est donc plus d’obtenir un individu avec des qualités que des techniques.

Il y a ici plusieurs écueils. Le premier est qu’implanter des qualités est long et frustrant. Ceci conduit à une mauvaise interprétation de la logique pédagogique pour se focaliser sur l’apprentissage d’un catalogue technique qui lui est totalement réalisable sans avoir la moindre qualité. En gros c’est un peu comme si vous disiez que vous êtes bricoleur parce que vous avez monté un meuble ikea. Suivre une technique de montage, n’importe qui peut le faire mais développer la qualité de bricoleur, certainement pas. Pour les plus mauvais en terme de compréhension, les mêmes qui ont commencé à enseigner après les fameux 6 mois, ils décideront même de faire passer des grades basés sur des séries techniques (et je ne parle pas ici d’aikido…). D’ailleurs, vous pouvez aussi remplacer le terme technique par mise en situation pédagogique, le principe est le même.

Pour ceux qui ne se perdraient pas dans cet écueil d’accumulation technique, il y a toujours le fait que ce soit très long d’implanter une qualité. Ce qui rend difficile la mise en pratique en situation libre. Pas parce qu’on est soi-disant trop dangereux quand on développé ces qualités. Simplement parce que faire du sparring libre ne permet pas de développer ce type de qualité. En effet, si on cherche à gagner, le plus rapide et le plus efficace est de profiter à fond du cadre et de s’y adapter. Ceci fait donc perdre de vue l’objectif de base.

Trouver un équilibre dans l’enseignement

Je suis personnellement passé par les deux écoles. Aujourd’hui, je n’arrive pas à supporter une approche technique. Un stage ou on montre 15 techniques ou 15 mises en situation m’ennuie totalement. Toutefois, je ne nie l’intérêt de la chose surtout dans une optique de self-défense. Je pense qu’une approche par spécial combiné avec du travail de principe via des mises en situation spécifique du principe donné est une très bonne méthode.

Si je devais vraiment faire une méthodologie idéale, je prendrai le travail des angles des arts martiaux philippins à travailler avec les 4 coups de poings de base de la boxe anglaise et le coup de pied d’arrêt à travailler en sparring libre. Parmi ces quatre, prendre le jab en spécial que l’on travaille pour pouvoir placer dans n’importe quelle situation, en particulier avec une arme à la main… En parallèle, je m’intéresserais à développer les qualités que mon école à décider de mettre en avant.

Le second point important pour trouver l’équilibre est la finalité de la pratique. Si le but est de gagner des médailles ou de faire de développement personnel, on n’utilisera pas les mêmes outils. Aucun problème tant que la situation est claire pour vous et vos élèves. On en revient au sujet du positionnement.

Ma méthode pour préparer un cours

En ce qui me concerne, sauf cas particulier ou séminaires spéciaux, je m’intéresse à l’aspect développement personnel des arts martiaux. Mon positionnement est très clair là-dessus. Je vais donc prendre le temps de développer des qualités plutôt que des répétitions techniques. Dans ma discipline, le systema, les qualités à développer sont au nombre de quatre. Ces quatre qualités correspondent à quatre types de changement physique et moteur. Je divise donc mon année en 5 périodes. Quatre pour développer ces qualités, une pour remettre le tout ensemble et voir ce qu’on peut en faire.

Dans une période, je sais que j’ai un certain nombre d’étapes à mettre en place pour arriver à développer une qualité donnée. A chaque étape, j’ai un certain nombres d’exercices. J’ai constitué ainsi une banque de données d’environ 250 pages d’exercices à utiliser à chacune de ces étapes. Ensuite, mon cours se divisent globalement en mise en condition mentale pour rentrer dans le cours, travail physique, explication de la qualité et surtout de l’étape que l’on cherche à franchir, utilisation d’exercices, travail libre et relaxation de fin de cours. Ma préparation s’arrête à peu près là.

Quand j’arrive en cours, je sais quelle qualité je suis en train de développer, je sais à quelle étape en moyenne mes élèves sont. Cet aspect est important puisqu’en fonction des élèves, je devrais utiliser des exercices différents pour faire passer le message. Plus on progresse dans le cours, plus le cadre de liberté s’agrandit tout en étant focalisé que la l’étape à franchir. A la fin, pour jouer, je laisse du libre. Enfin, relaxation pour poser le corps et discussion pour intégrer ce que l’on a fait et pourquoi on l’a fait de façon intellectuelle. En fonction de cela, je sais quoi faire au cours suivant.

Si un débutant débarque en milieu d’année, je le confie à des avancés pour lui montrer les bases. Pour les avancés en début d’années,ils reverront les mêmes qualités mais avec un niveau de compréhension différent appuyé par des exercices un peu plus compliqué.

Et c’est tout.

 

Conclusion

 

Donner un cours se justifie par le fait de vouloir faire progresser une ou plusieurs personnes dans un cadre. Ce cadre peut-être plus ou moins libre. Dans mon cas, je tend de plus en plus à aller vers de la liberté dans ma pédagogie. Ceci est toutefois possible parce que j’ai choisi un certain positionnement. Ce ne le serait peut-être pas avec un autre. Il est donc intéressant de savoir comment vous, vous préparez vos cours!

 

A bientôt

 

Yvan

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